...une course d’obstacles dans une jungle d’épreuves !
Ces établissements choisissent leurs recrues en fonction d’épreuves et de critères propres à chacun d’entre eux. Les candidats déçus sont légion et se tournent, pour ceux qui en ont les moyens, vers le privé.
A quelques semaines de la clôture du dépôt des voeux sur la plate-forme d’orientation postbac Parcoursup, alors que des centaines de milliers de lycéens s’appliquent à soigner leur moyenne et bûchent pour se positionner en tête de classe dans leurs spécialités, il existe une filière de l’enseignement supérieur où ces efforts auront peu d’effet : les écoles d’art et de design.
On compte en France 45 écoles d’art publiques, sous la tutelle du ministère de la culture, auxquelles s’ajoutent 166 établissements privés, selon la Cour des comptes, et presque autant de modes de recrutement. Un dédale pour de nombreux lycéens qui peuvent aisément s’égarer dans leur préparation aux attendus propres à chacun de ces établissements.
« Les notes, les classements, les spécialités des candidats lycéens, je ne les consulte pas », admet Julien Bohdanowicz, directeur des études de l’Ecole des arts décoratifs de Paris (Ensad). Idem pour intégrer l’Ecole supérieure des beaux-arts de Nîmes (Esban) : « Les moyennes académiques des élèves du secondaire, je ne les regarde pas », indique la directrice, Delphine Paul.
Chacun sa méthode de sélection
Parcoursup demeure néanmoins un passage obligatoire pour tous les lycéens candidats à une école publique. En effet, la première phase d’inscription au concours de chacun des établissements se fait sous la forme d’un voeu sur la plate-forme, dont la clôture des dépôts est prévue pour le 14 mars. Les voeux posés devront ensuite être confirmés et les dossiers de candidature complétés : pour cela, les lycéens ont jusqu’au 3 avril inclus. C’est le début d’une course à obstacles multiples, qui va durer jusqu’en juin.
Une fois les voeux enregistrés, les candidats devront se soumettre au parcours de sélection des établissements et chacun d’eux a sa méthode. Pour intégrer l’Esban par exemple, Parcoursup a encore un rôle significatif puisque c’est sur la plate-forme que les lycéens devront déposer un « dossier artistique » dans lequel ils devront incorporer des oeuvres personnelles (photos, peintures, son, vidéos…), ainsi qu’un commentaire de leurs propres travaux. Ce dossier et la « singularité du profil » décideront de l’admissibilité du candidat, selon Delphine Paul.
Mais pour toutes les autres écoles interrogées, Parcoursup ne sert qu’à transférer les candidatures jusqu’aux écoles. « La plate-forme n’accorde que 5 mégaoctets d’espace par candidat et ce n’est pas faute d’avoir demandé plus, regrette Julien Bohdanowicz. Cela ne permet pas de constituer un dossier avec une définition de bonne qualité, il est donc impossible d’évaluer les travaux. » C’est sur une autre plate-forme en ligne que les candidats devront déposer un travail qui définira leur admissibilité. Le 12 avril, un sujet sera dévoilé et les lycéens auront le week-end pour lui donner corps, sur le format qu’ils souhaitent – « dessin, photo, vidéo, performance, tout est possible », précise le directeur. Le résultat devra être rendu le 16 avril.
Le principe d’une épreuve d’admissibilité, réalisée à domicile, est partagé par de nombreuses écoles, mais chacune a ses spécificités, puisqu’il n’existe pas de concours commun. Par exemple, pour entrouvrir les portes de l’Ecole d’art de Cambrai, il faudra convaincre un jury avec « des croquis d’intentions pour une oeuvre plastique », explique Sandra Chamaret, la directrice.
A la recherche d’un « potentiel »
Autre école, autre mode de sélection : l’Ecole de création industrielle (Ensci), à Paris, demande à ses candidats de se présenter à travers une courte vidéo de deux minutes, d’élaborer un projet sur une thématique imposée et de répondre à une batterie de questions, le tout en quarante-huit heures.
La première phase de sélection terminée, c’est dans leurs murs que les écoles organisent, toujours individuellement, l’admission finale de leurs étudiants. « Il est important qu’ils se rendent sur place, qu’ils appréhendent la ville, notre environnement. Qu’ils voient où ils vont mettre les pieds et combien l’école est belle, bien équipée. Cela peut aussi leur donner un regain de motivation », estime Sandra Chamaret.
Cette fois encore, les épreuves sont multiples, elles se déroulent sur une journée. A l’Ensci, les admissibles commencent par une épreuve de « créativité » à partir de la photo d’un objet. Ils enchaînent ensuite avec une épreuve de travail collectif et poursuivent avec la présentation de travaux personnels devant le jury de l’école. L’Esban fait sa sélection finale avec un entretien pendant lequel le dossier artistique de chaque candidat est analysé, ainsi que « sa motivation, mais pas les connaissances », précise Delphine Paul. En prime, les candidats devront se soumettre à une épreuve de langue lors d’un échange avec le jury.
Quant aux Arts déco, les admissibles sont invités à une épreuve sur table de quatre heures durant laquelle ils devront produire une oeuvre, puis la présenter à un jury. « Nous ne cherchons pas un niveau technique, mais un potentiel », souhaite rassurer Julien Bohdanowicz.
Déboutés du public, rattrapés par le privé
Les chausse-trapes qui attendent les lycéens, entre leur inscription sur Parcoursup et leur éventuelle admission dans une école publique, n’enlèvent rien à l’envie des futurs étudiants d’intégrer ces écoles. L’Ensad a fait l’objet de 3 000 voeux sur Parcoursup en 2023, 2 600 dossiers ont été formellement constitués, 420 lycéens ont été admissibles pour seulement 75 élus.
Dans les écoles en région, la sélection est moins drastique, quoique forte. Les écoles de Nîmes et de Cambrai faisaient en 2023 l’objet de 350 voeux pour environ une trentaine de places. Les résultats des admissions sont transmis fin mai par le biais de Parcoursup. Les déçus se comptent alors à la pelle.
Dans un tel contexte, les établissements privés ne laissent pas filer ce marché des non-admis des écoles publiques. L’Ecole de création visuelle (ECV) fait partie des très nombreux établissements hors contrat avec l’Etat à remplir ses classes avec les déboutés des écoles publiques. Chaque année, l’établissement accueille 550 étudiants sur ses cinq campus répartis sur l’ensemble du territoire. « La seule condition pour intégrer l’école, c’est d’avoir le bac ou une équivalence », souligne Marie Hantson, responsable pédagogique. Il faut également débourser entre 7 500 et 8 400 euros par an, selon le campus choisi.
Il n’y a pas de concours, y compris dans les établissements privés les plus réputés comme Penninghen, l’école d’architecture intérieure, de communication et de direction artistique parisienne. « Le premier qui signe le dossier d’inscription rentre », confirme Gilles Poplin, directeur. Il faut aussi verser 11 390 euros. L’établissement compte 300 places en première année, qu’il remplit graduellement à partir de juin, dès lors que les résultats de Parcoursup commencent à tomber.
Si les 300 premiers arrivés sont inscrits en première année, ils n’étaient plus que 160 admis en deuxième année à la rentrée 2023-2024. Des évaluations régulières et un classement publié chaque trimestre indiquent aux étudiants s’ils peuvent prétendre passer en deuxième année (moyennant 13 300 euros). Quant aux autres, « leur avenir ne se fera pas à Penninghen, reconnaît Gilles Poplin. Toutefois nous donnons parfois l’opportunité d’un redoublement. » Les écoles d’art et de design sont soit très sélectives, soit très onéreuses.
Eric Nunès,
LE MONDE Campus, le 09 mars 2024.
Illustration : Un atelier de travail à L’Institut français de la mode (IFM), une grande école française privée consacrée à la formation et à la recherche dans les industries de la mode, du luxe, du design et du textile, et plus largement dans les industries créatives. Le 26 février 2024 à Paris. JULIEN DE ROSA / AFP