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À la grande halle de la Villette, la sixième édition de “100 % L’Expo” expose les travaux d’une cinquantaine d’artistes tout juste sorti·es de leurs écoles d’art. Des oeuvres traversées par les périls du monde, dont celui de l’enfance à repolitiser

Exposer la jeune scène émergente, se frotter à des oeuvres, fragiles et fermes à la fois, d’artistes à leur sortie d’école, dans ce moment-clé
d’affirmation de leurs gestes : pour sa sixième édition, la manifestation 100 % L’Expo, que la grande halle de la Villette accueille jusqu’au 28 avril, confirme la vitalité qui anime une cinquantaine de jeunes diplômé·es, sorti·es récemment de l’École des beaux-arts de Nantes-Saint-Nazaire, de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, des Beaux-Arts de Marseille, des Beaux-Arts de Paris, de Toulouse, de l’École des arts décoratifs de Paris et de La Villa Arson à Nice.
Des “jeunes artistes”, selon l’expression consacrée, à l’image du récent roman de Valérie Mréjen, qui, peut-être, deviendront un jour de “vieux et vieilles artistes”, à moins que l’implacable loi du marché ne vienne décourager la vocation de certain·es d’entre eux et elles !


Une harmonie chaotique
Comme nous l’explique Inès Geoffroy, cheffe de projet de l’exposition, “100 % L’Expo n’est ni un salon d’art contemporain ni une exposition thématique, mais est pensée comme un instantané non exhaustif de la jeune création, présentant une pluralité de profils et de sujets.” Faisant place cette année à plus de performances et de rencontres que l’an passé, avec un programme dédié, l’exposition, répartie sur les 3 500m2 de l’imposante Grande Halle, fait le pari de l’éclectisme, du foisonnement des formes et des récits, sans qu’aucun fil directeur ne s’impose naturellement, sans qu’aucun programme artistique n’en écrase un autre.
Comme si la jeune création, à la mesure des scènes qui la précèdent, restait irréductible à tout effet de système. Disséminée, nomade, aventureuse, la jeune scène échappe à une assignation formelle et thématique. En circulant parmi les pièces exposées, tous les médiums se mêlent, de la sculpture à l’installation, de la vidéo à la photographie, de la peinture au son…, dans un ensemble de formes dont la disparité même paraît étrangement cohérente. Cette cohérence serait-elle due à un effet de génération, à quelques tropismes obsessionnels, à une façon de s’affirmer dans l’audace des premiers élans ?


L’enfance dans le tumulte
Au coeur de cette impression contrastée d’un mélimélo conjurant le désordre apparent par une logique commune, quelques motifs se dégagent en effet de l’ensemble. Outre les problématiques sexistes, féministes, décoloniales, écoanxieuses, collapsologiques, intimes…, centrales dans la conscience des jeunes générations, la question de l’enfance se distingue sensiblement. Comme le signale Inès Geoffroy
l’enfance “obsède beaucoup de jeunes artistes en ce moment”, souvent intéressés par le livre récemment paru, Politiser l’enfance (Burn Août), une anthologie de textes réunis par le chercheur Vincent Romagny ; des textes issus des champs des sciences humaines et de l’art qui questionnent le manque d’attention que la société porte souvent à cette expérience fébrile de la vie.
On retrouve précisément ce livre dans la magnifique installation de Solveig Burkhard, diplômée des Beaux-Arts de Paris, Kids Waiting for Something, qui a imaginé un espace interactif et immersif dédié à l’imaginaire et aux blessures de l’enfance ; un espace qui serait à la fois une classe de maternelle, une chambre d’enfant, une salle d’attente chez le pédo-psychiatre, où le visiteur est invité à parler, jouer avec les jeux à disposition. Un rituel pour retourner en enfance, s’interroger sur la question du soin, des traumatismes, de l’adultisme qui mobilise l’artiste, entre chaos et rédemption, dans une attente inassouvie.
Ce goût, contrarié ou fantasmé, de l’enfance trouve d’autres traductions dans l’expo, avec l’installation habitée de Lisa Derocle Ho-Léong, sortie des Arts décoratifs, Racontaz aux soleyls, qui revient sur l’histoire de ses grands-parents réunionnais et leur installation en métropole, ou encore avec l’immense aquarelle sur papier d’Héloïse Farago, Arbre généalogique, qui revisite dans une esthétique queer les contes médiévaux de notre enfance (le roman de la rose, avec un arbre qui porte des fruits clitoridiens), mais aussi dans une vidéo, Love Story, qui s’amuse à réinterpréter l’histoire de Don Quichotte à travers une écriture camp. Marion Chaillou, sortie des Beaux-Arts de Paris, où elle était déjà exposée en début d’année dans l’expostion “Félicités, des lignes de désir”, propose ici des meubles sculptés en bois, qu’elles détournent de leurs fonctionnalités initiales, pour y abriter des peintures miniatures à la gouache délicates, comme le lieu enfantin d’un secret intime.
La sculpture fantastique, Berceuse d’hiver, de Yue Sun, artiste chinoise formée aux Beaux-Arts de Nantes-Saint-Nazaire, ressemblant à une sorte d’animal rouge féérique, se gonflant et se dégonflant dans des mouvements successifs, livre de manière poétique, une image fétiche de l’enfance, ce moment de la vie où le monde n’est pas encore figé dans des catégories rigides, où tout bouge, entre souffle long et léthargie, énergie et somnolence. Des créatures hybrides et fictives, dans une esthétique du post-humain, Joseph Tinsley (Beaux-Arts de Nantes) en invente lui aussi dans sa vidéo Lateral Flow.


Nostalgie et actualité
L’enfance qui fuit génère parfois de la nostalgie, une exploration des archives de sa vie, comme le fait subtilement Laura Rodière, diplômée des Beaux-Arts de Toulouse, dans une poignante installation, Que reste-t-il de la vie d’un homme ?, imaginant l’histoire d’un homme amnésique enquêtant sur son passé, comme le héros du roman de Patrick Modiano, Rue des boutiques obscures, à partir d’indices que l’artiste collecte et crée elle-même, dans un geste d’enquête-fiction émouvant.
De Lola Sahar (Beaux-Arts de Marseille), exposant des clefs suspendues dans une installation Le Droit au retour, pour évoquer le droit au retour des familles palestiniennes sur leurs terres, à l’installation sonore de Mélina Ghorafi (Villa Arson), Les Mirlitons, enregistrant des chansons grivoises en version lesbienne, dans un questionnement sur les violences sexistes, ou encore l’installation composée de 39 affiches S’exposer est un risk, de Matteo Demaria (Beaux-Arts de Nantes), qui questionne le sens de l’art (“rendre la vie en faisant moins d’art”), les enjeux politiques traversent le parcours au-delà de l’enfance, et au-delà des formes plastiques, dans des pratiques textuelles. Qu’est ce qui anime donc les artistes à leur sortie d’écoles ? Le sort du monde, avant même l’incertitude de leur propre avenir artistique.

Jean-Marie Durand pour Les Inrocks.
Publié le 2 avril 2024.


100 % L’Expo, panorama de la jeune création. Grande Halle de la Villette, jusqu’au 28 avril du mercredi au dimanche de 14 h à 19 h.

 

Illustration : Vargas Bravo Berenice, “David y Goliath”, 2023, Beaux Arts Nantes © L’artiste

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